Victor Hugo à Juliette Drouet

Déc 23, 2012 | Lecture | 1 commentaire

Je vous aime, mon pauvre ange, vous le savez bien, et pourtant vous voulez que je vous l’écrive. Vous avez raison.
Il faut s’aimer, et puis il faut se le dire, et puis il faut se l’écrire, et puis il faut se baiser sur la bouche, sur les yeux, et ailleurs. Vous êtes ma Juliette bien-aimée.
Quand je suis triste, je pense à vous, comme l’hiver on pense au soleil, et quand je suis gai, je pense à vous, comme en plein soleil on pense à l’ombre. Vous voyez bien, Juliette, que je vous aime de toute mon âme.
Vous avez l’air jeune comme une enfant, et l’air sage comme une mère, aussi je vous enveloppe de tous ces amours à la fois.
Baisez-moi, belle Juju !

Victor Hugo  à Juliette Drouet, le 7 mars 1833

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Tu as brûlé mes lettres, ma Juliette, mais tu n’as pas détruit mon amour. Il est entier et vivant dans mon coeur comme le premier jour. Ces lettres, quand tu les as détruites, je sais tout ce qu’il y avait de douleur, de générosité et d’amour dans ton âme. C’était tout mon cœur, c’était tout ce que j’avais jamais écrit de plus vrai et de plus profondément senti, c’était mes entrailles, c’était mon sang, c’était ma vie et ma pensée pendant six mois, c’était la trace de toi dans moi, le passage, le sillon creusé bien avant de ton existence dans la mienne. Sur un mot de moi que tu as mal interprété, et qui n’a jamais eu le sens injuste que tu lui prêtais, tu as détruit tout cela. J’en ai plus d’une fois amèrement gémi. Mais je ne t’ai jamais accusée de l’avoir fait. Ma belle âme, mon ange, ma pauvre chère Juliette, je te comprends et je t’aime ! Je ne veux pas pourtant que cette trace de ta vie dans la mienne, soit à toujours effacée. Je veux qu’elle reste, je veux qu’on la retrouve un jour, quand nous ne serons plus que cendres tous les deux, quand cette révélation ne pourra plus briser le cœur de personne, je veux qu’on sache que j’ai aimée, que je t’ai estimée, que j’ai baisé tes pieds, que j’ai eu le cœur plein de culte et d’adoration pour toi. C’est que depuis huit mois que mes yeux pénètrent à chaque instant jusqu’au fond de ton âme, je n’y ai encore rien surpris, rien de ce que je pense, rien de ce que tu sens qui fût indigne de toi et de moi. J’ai déploré plus d’une fois les fatalités de ta vie, mon pauvre ange méconnu, mais je te le dis dans la joie de mon cœur, si jamais âme a été noble, pure, grande, généreuse, c’est la tienne, si jamais cœur a été bon, simple, dévoué, c’est le tien, si jamais amour a été complet, profond, tendre, brûlant, inépuisable, infini, c’est le mien. Je baise ta belle âme sur ton beau front.

Victor

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A Juliette le 31 décembre 1851, 8h du soir


Mon doux ange bien aimé, voici l’année qui finit, année de douleurs, année de luttes, année d’épreuves, l’année qui commence sera l’année d’espérance de joie et d’amour. N’en doute pas, car c’est tout mon cœur qui me le dit. Je suis proscrit, banni, exilé, séparé des miens, pauvre, errant, frappé au cœur et pourtant, quand je me tourne vers toi, il me semble que je vois le bon Dieu qui me sourit. Tu as été admirable ma Juliette dans ces sombres et rudes journées. Si j’avais eu besoin de courage, tu m’en aurais donné, mais j’avais besoin d’amour, et sois béni, tu m’en apportais ! Quand, dans mes retraites toujours périlleuses, après une nuit d’attente, j’entendais le matin la clef de ma porte tressaillir sous ta main, j’oubliais tout, je n’avais plus de périls ni de ténèbres autour de moi, c’était la lumière qui entrait ! Ho n’oublions jamais ces heures terribles et pourtant si douces où tu étais près de moi dans les intervalles de la lutte ! Rappelons-nous toute notre vie cette petite chambre obscure, ces vielles tapisseries, ces deux fauteuils côte à côte, ces repas au coin de la table avec le poulet froid que tu apportais, ces causeries si tendres, tes caresses, tes anxiétés, ton dévouement ! Tu t’étonnais de mon calme et de ma sérénité. Sais-tu d’où me venaient cette sérénité et ce calme ; c’était toi. Vois tu, Dieu ne frappe jamais tout à fait, il nous a jeté ici, mais ensemble. Qu’il soit béni.
Dans ces années si vite écoulées, hélas, ton âme a dépensé des trésors de tendresse, de dévouement, de fidélité, de vertu, et pourtant cette belle âme est plus riche que jamais. Tes yeux m’ont donné bien des sourires, ta bouche bien des baisers, et pourtant ton doux visage est plus jeune que jamais. Tu as tout donné et tu as tout gardé. J’ai eu tout et tu as tout. Il n’y a que les astres du ciel qui puissent ainsi donner sans cesse leurs rayons sans diminuer leur lumière. L’année qui vient de finir a été triste. Une moitié de mon cœur est morte. Oh ! Que tu as été douce pour moi dans ces heures d’angoisse ! Que Dieu te récompense et te bénisse ! Ton amour, ô mon ange, ressemble à la vertu.
Je t’attends ce soir avec bien de l’impatience. On dirait que les battements de mon cœur voudraient hâter les pulsations de la pendule pour y arriver plus vite.
Quand je ne serai plus qu’une cendre glacée, quand mes yeux fatigués seront fermées au jour, dis-toi, si dans ton cœur ma mémoire est fixée :
Le monde a sa pensée
Moi j’avais son Amour. 

Victor Hugo


 

1 Commentaire

  1. marie

    Il y a quinze ans, je découvrais la correspondance entre Victor Hugo et Juliette Drouet. Cela m’a tellement émue que lorsque ma fille est née quelques mois plus tard, nous l’avons appelée Juliette.

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