« La connerie »

Mai 5, 2010 | Lecture | 4 commentaires

brassens

Voici un extrait de Lettres à Toussenot (1946-1950)
Lettre écrite par Georges Brassens sur la connerie, un sujet infini qui ne vieillira jamais…
L’illustration ci-dessus est des Chats Pelés.


« Ceci dit, et pour être emmerdant, j’ajouterai que ton entêtement à engueuler les cuistres me fait peur. Je sais bien que la majorité des hommes « a tué les restes de son enfance », « a trahi sa jeunesse », etc… Quelques autres le savent. Mais la multitude, elle, ne peut pas le savoir. Alors pourquoi le dire ? Besoin de véhémence ? Soulagement physique ? Pourquoi l’écrire, plus précisément ?
Te voici maintenant en contradiction avec tes théories ! Oui, je sais aussi que Baudelaire considérait le droit de contredire comme une noble nécessité de l’homme bien né. De même, n’est-ce pas toi qui me l’as appris ? Valéry posait comme condition d’existence de l’Esprit la possibilité de contradiction. Oui, bien sûr ! Mais quand même, quelle fatigue inutile ! Tes insultes sont encore un hommage à leur connerie ! Chacune de tes polémiques (excellentes d’ailleurs, beaucoup trop excellentes) est un poème fracassant à la gloire de la bêtise humaine. Il est pour le moins savoureux de voir un type très intelligent se préoccuper à ce point de la sottise et de la médiocrité de la société de son temps. Pour un homme de ta valeur, il n’y a pas de connerie, il ne doit pas y en avoir ! Tu vois trop la vérité, tu désenchantes tout ce que tu touches; Tu es le destructeur des trésors, malheureux ! Plus je te connais, plus je sens qu’il y a du Nietzsche dans ta nature. Tu parles, tu parles, de façon éblouissante certes, mais tu parles et tu ne devrais que chanter. CHANTER, comprends-tu ?
Vois-tu, tu es trop violent avec les imbéciles, trop intégral. Pourquoi ne pratiquerais-tu pas la théorie de la non-violence ? Ils sont cons, c’est un fait, mais que veux-tu y faire ? Tu ne dis rien aux aveugles qui ne voient pas. Alors ! Crois-moi, laisse les sots à leur sottise. Crée des fêtes. Pense à tes amis.

Trouve la paix. Redécouvre les voluptés perdues. Deviens l’artisan de ton âme, le musicien de ton silence, l’écrivain de ton génie. Et excuse-moi de te souhaiter avec un autre comportement. Tu sais bien que mon amitié n’a rien à voir avec les conseils que je te donne. Tu es : cela suffit. Le reste est littérature.

Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme. »

Georges
(Paris le 2 juillet 1948)

4 Commentaires

  1. stevie lili

    A qui l’écrit il ? A moi ? 😉
    Non à Brel peut être, avec qui j’ai grandit et dont je me sens si pleine …
    Superbe cette lettre qui répond à des questionnements quotidiens.
    Malgré la véracité de ses propos, je continues de douter que c’est la bonne marche à suivre … je fais des recherches sur le courage en ce moment, le courage n’est il pas aussi dans le « contredire « ? Ne pas laisser le pouvoir à la sottise même si elle est maîtresse ? avancer et désirer que la société le phase, à force de petits combats ?

  2. Christophe Renoux

    Cette lettre est écrite à son grand ami Roger Toussenot, journaliste au journal Le Libertaire. Brassens a entretenu avec lui une correspondance abondante qu’on peut retrouver dans un livre.
    Parfois, face à la bêtise, on ne peut plus grand chose, et lorsque c’est vain, à quoi bon se battre pour des choses imbéciles ?

  3. stevie lili

    Ben zut, y a une partie de mon texte qui a disparu entre « société le (et) phase  »
    Bref tu auras saisi l’idée.
    Je crois que tout ça est un long et vaste débat, cette lettre en est la preuve ! 😉

  4. animaldan

    C’est le Brassens que je n’aime pas, ça (même si la tentation est là, parfois, de le rejoindre…): contemplatif, mou… fainéant. Je lui préfère alors… Renaud, son « dauphin » énervé. Quitte à craquer « Fatigué » des fois…

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