Hippolyte Bayard

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1840. Pour la première fois un photographe se représente nu, et dans une mise en scène.
Hippolyte Bayard se montre en noyé, abandonné à la morgue (lire ci-dessous le texte explicatif se trouvant au dos de la photo) pour dire la tragédie de son désespoir, ne pas être reconnu pour ce qu’il vient d’inventer.

Allégorie de la solitude de l’artiste et du créateur ?

Hippolyte Bayard naît dans l’Oise en 1801. Il gagne Paris où il suit une formation artistique puis s’intéresse aux procédés de reproduction photogénique.
En 1839, il met au point un procédé qui lui permet d’obtenir directement des images positives sur papier, à l’aide de chlorure d’argent. Principe des pellicules Polaroïd actuelles.
Sa découverte du positif direct apparaît comme une alternative au daguerréotype qui est en plein essor. Mais Bayard ne peut obtenir la reconnaissance officielle de l’académie des Sciences, ni celle des savants et de la presse. D’où sa déception, et cette photographie en noyé suicidé.
De façon très habile, il détourne ici à son avantage les inconvénients de la technique photographique. La durée d’exposition étant très longue, (entre 30 minutes et 2 heures !) Bayard se représente mort, appuyé contre une colonne, lui permettant ainsi de garder l’immobilité nécessaire pour sa prise de vue.

Pour l’histoire, Bayard finira par obtenir la reconnaissance de l’académie des Beaux-Arts et déposera son brevet à l’académie des Sciences, fin 1839.
Il meurt en 1887, oublié de tous.

Voici le texte qu’il écrivit au dos de cette photo :

« Le cadavre du Monsieur que vous voyez ci-derrière est celui de M. Bayard, inventeur du procédé dont vous venez de voir, ou dont vous allez voir les merveilleux résultats. A ma connaissance, il y a à peu près trois ans que cet ingénieux et infatigable chercheur s’occupait de perfectionner son invention.
L’Académie, le Roi et tous ceux qui ont vu ses dessins que lui trouvait imparfaits, les ont admirés comme vous les admirez en ce moment. Cela lui a fait beaucoup d’honneur et ne lui a pas valu un liard. Le gouvernement, qui avait beaucoup trop donné à M. Daguerre, a dit ne pouvoir rien faire pour M. Bayard et le malheureux s’est noyé. Oh ! Instabilité des choses humaines ! Les artistes, les savants, les journaux se sont occupés de lui pendant longtemps et aujourd’hui qu’il y a plusieurs jours qu’il est exposé à la morgue, personne ne l’a encore reconnu, ni réclamé. Messieurs et Dames, passons à d’autres, de crainte que votre odorat ne soit affecté, car la tête du Monsieur et ses mains commencent à pourrir, comme vous pouvez le remarquer. »

2 réflexions au sujet de « Hippolyte Bayard »

  1. Durant cette période, le monde de la Photographie était naissant. Très peu – en leur temps et même longtemps après – ont été reconnus pour leurs inventions et leurs efforts, allant souvent jusqu’à leurs sacrifices ! (beaucoup sont morts des suites des produits nocifs qu’ils maniaient)

    Image forte de sens. Elle ne peut qu’émouvoir lorsqu’on en connaît l’origine.

  2. Surface sensible
    Du temps indicible

    Membrane tragédienne
    D’une douleur stoïcienne

    Pellicule intemporelle
    D’une existence cruelle

    Écaille illusoire
    Du seul désespoir

    Émulsion désenchantée
    De l’invention noyée

    Des mots
    Une photo
    À fleur de peau

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